Le mauvais œil, le diable au corps...

Vous avez déjà sans doute entendu parlé du mauvais œil ? Cette croyance selon laquelle un regard, un éloge ou même un compliment d'une personne à une autre aurait le pouvoir de faire peser une malédiction ou de la malchance sur cette dernière. Et si vous êtes un tantinet superstitieux, vous voudrez sans doute vous protéger…

Origines du mal

Mais d'où vient le mauvais œil ? Existe-t-il vraiment ? Ou est-il seulement le fruit d’une légende ? En fait, nos croyances et notre foi sont prépondérantes, mais il est intéressant de constater que chaque culture et chaque époque possède ses propres légendes, ce qui génère une diversité riche de représentations symboliques.

Le mauvais œil est une croyance qui remonterait à l'Antiquité gréco-romaine. Dans la mythologie, il serait considéré comme une manifestation de la jalousie. Au Moyen-Âge, cette croyance était associée aux sorcières, et il était de bon ton d’éviter de croiser leur chemin car gare à la malédiction ! Les rencontres avec elles étaient perçues comme une fatalité. Les sorcières étaient souvent décrites comme des femmes d'un certain âge, sans doute ménopausées, dont on disait qu'elles ne purifiaient plus leur corps par les menstruations mais qu'elles expulsaient désormais leurs impuretés par les yeux.

Dans son livre intitulé Encyclopédie des peurs et sagesses populaires (les éditions de l’Opportun, 2020) l'auteur Évelyne Keller explore plus de 301 superstitions. On y apprend notamment qu'en Grèce, c'est le mardi 13 qui fait peur et non le vendredi 13. En Écosse, les cygnes sont des oiseaux de bonne fortune et le violet est la couleur du deuil au Brésil et par conséquent porter du violet en dehors de la mort d’un proche, porterait malheur… Au Maroc, il faut éviter de siffler à l’intérieur d’une maison, au risque de voir ses occupants disparaître..

"Ces craintes irraisonnées revêtent un caractère surnaturel voire sacré"

Nous avons donc tous des superstitions. Elles sont omniprésentes dans nos sociétés et dans nos cultures. Et même si ces craintes s’avèrent irraisonnées, elles revêtent un caractère surnaturel voire sacré, c’est pourquoi nous avons appris à vivre avec. Oui, nous avons tous eu au moins une fois dans notre vie, la peur du chat noir, du vendredi 13, peur de passer sous une échelle, peur des sept ans de malheur du miroir brisé… Tout comme nous avons aussi espéré se sentir aimé des dieux en tombant sur un trèfle à quatre feuilles lors d'une promenade en forêt ou en portant une main de Fatma. Une façon sans doute de rééquilibrer les choses et nos vies, à l’instar du Yin et du Yang

Recherche protection désespérément…

Oui depuis l’enfance, nous croisons les doigts pour déjouer la malchance, ne pas avoir la poisse et se protéger contre le mauvais œil. Déjà, dans l’ancienne Égypte on avait recours à des amulettes ou talismans pour détourner tout incident funeste. Ces amulettes pouvaient avoir la forme d’un œil, identique à celui de l'œil de Horus. Ces amulettes étaient placées judicieusement à l’entrée des maisons, sur la coque des bateaux. 

L’autrice Évelyne Keller, citée plus haut explique dans son ouvrage qu’un rituel de protection contre le mauvais œil a été découvert sur un papyrus babylonien datant du VIIe siècle avant notre ère…

La protection contre le mauvais œil n’est pas seulement une préoccupation de l’ancien temps. Partout dans le monde, on use de ruses, d’imagination et de stratagème pour se protéger contre lui. Par exemple, au Portugal, on protège les enfants du mauvais œil en leur faisant porter des colliers ornés de petits talismans - association complexe d'un croissant de lune (contre les sortilèges), d'une corne (pour attirer la chance), d'un pentacle et d'une main faisant le geste de la figue (pour repousser le mauvais œil).  

"Appelé « ayn », il est reconnu comme une réalité par le prophète Mahomet lui-même"

Dans la tradition juive, c’est le fil rouge qui est utilisé pour conjurer les mauvaises énergies. En Irlande, les superstitieux ont recours au trèfle, en Grèce c’est l’ail le protecteur et en Turquie, on arbore le nazar boncuk : nazar pour « mauvais œil » et boncuğu pour « amulette ». Une amulette originellement faite en verre. 

Dans la religion musulmane, le mauvais œil - appelé « ayn »  - est reconnu comme une réalité par le prophète Mahomet lui-même, signifiant qu'il existe véritablement et a des conséquences tangibles sur notre monde. Afin de se protéger de ses effets néfastes, les musulmans récitent les deux dernières sourates du Coran, qui sont connues comme des sourates protectrices. Leur position en tant que dernières sourates du Coran est intentionnelle, afin de les rendre parmi les plus récitées par les fidèles musulmans.

Ainsi, le mauvais œil fait partie intégrante de nombreuses cultures telles qu’en Turquie, Iran, Arménie, Grèce et les pays du Maghreb. On y affiche l'œil bleu comme un talisman avec l’espoir de se protéger du mauvais œil. S’il se brise, c’est un bon présage car cela signifie qu'il a rempli sa fonction protectrice. Toutefois, il est conseillé de le remplacer rapidement car nul n'est à l'abri d’une malédiction.

Le mauvais oeil : miroir de notre vulnérabilité humaine  

L'omniprésence de cette croyance, du mauvais œil dans nos sociétés, met en évidence la  fragilité de l’être humain. Dans un contexte de concurrence intense où chaque succès peut engendrer l'envie des autres, cette croyance nous rappelle l'importance de rester vigilants face aux regards jaloux d’autrui. En portant des bijoux ou en intégrant le motif de l'œil dans notre décoration, nous cherchons à conjurer le mauvais sort et chasser ces énergies négatives. Il ne s’agit plus seulement de trouver le bonheur mais de le préserver des esprits mal intentionnés.

"Conjurer le mauvais sort et chasser ces énergies négatives"

Mais peut-être que tout est une question d’état d’esprit ? Être capable de déjouer la malchance en croyant en sa bonne étoile est sans doute la meilleure attitude à adopter. La vie est faite de déconvenues, de mésaventures, de hasard malheureux… Continuer de porter un bijou, une amulette ne peut pas nous faire de mal. Et si en plus, cela permet de chasser les forces obscures, pourquoi pas. Que l'on adhère à cette croyance ou non, le mauvais œil demeure une énigme captivante, nous invitant à rester conscients des énergies qui nous entourent - négatives ou pas.…